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Mes histoires de chats - 3 : Isis et Rouky, les derniers passagers

20 Octobre 2018 , Rédigé par Aralf Publié dans #Mes histoires de chats

Mes histoires de chats - 3 : Isis et Rouky, les derniers passagers

 

 

La grande maison d’Avignon est déserte. Inexorablement le temps à fait son oeuvre et ses habitants nous ont tous quitté. Maman la dernière est partie rejoindre les siens vers un ailleurs dont j’ignore tout. La maison qui des années auparavant abritait sept personnes est encore plus immense ainsi. Mon frère a fait sa vie à Paris, moi à Orange; malgré tous les souvenirs qu’elle renferme nous avons pris la décision de vendre. Les meubles partent peu à peu, certains donnés à des amis, d’autres à la décharge, la plupart en dépôt-vente. Les souvenirs défilent au fur et à mesure que se vident les tiroirs et que se remplissent les cartons.

 

La grande maison est déserte… pas tout à fait. Il reste encore quelques passagers dans cette arche à la dérive; les chats. Combien en plus de trente ans s’y sont réfugiés, y sont passés, y ont vécu pour quelques jours, quelques mois ou de longues années? Je l’ignore. Bien sur il y’a eu Diana et ses fils Ti-Puch et Sylvestre, et puis tous les autres, ceux qui m’ont marqué, ceux dont je me souviens à peine, ceux que j’ai totalement oubliés.

 

En cet été torride la vie semble s’être suspendue dans les immenses pièces sans vie et les chats rodent dans le garage et le jardin. Malheureusement, je sais bien que nous ne pourrons pas ramener tout le monde à Orange. Il y’a les deux chattes du « premier cercle », Chounette la douce Chartreuse qui s’est échappée d’une HLM pour venir vivre à la maison et Silky, birmane à la robe de soie, que j’ai trouvée quelques années avant, nouveau-née, jetée dans notre jardin et que nous avons élevée au biberon. Ces deux là seront assurément du voyage. Et puis il y’a les autres, qui restent presque sauvages; la plupart en quelques semaines s’éloigneront d’eux mêmes de la maison vide, ou se contenteront de venir subrepticement vider les gamelles que je continue à remplir à chacun de mes passages.

 

Parmi ces chats du « deuxième cercle », il y’a Rouky un beau chat rouquin qui vient manger mais ne s’approche guère plus. Nous avons décrété que Rouky était le fils supposé d’Arumbaya qui fut dans les années précédentes l’un des piliers de la maison. Arumbaya, comme tous les autres était arrivé un beau jour sans crier gare et s’était rapidement installé chez nous. C’était un beau chat roux, costaud, qui souffrait d’une oreille cassée et repliée sur l’avant, probable séquelle d’une bagarre entre mâle. Précision inutile pour les tintinophiles, nous avions ainsi nommé Arumbaya, du nom de la tribu inventée par Hergé pour l’album l’Oreille cassée. Quelques jours plus tard, un autre chat superbe avait débarqué à la maison, tout blanc. Il était à première vue du même âge qu’Arumbaya et les deux semblant complices, nous les avions supposés frères et avions donc nommé le second Bibaros, du nom de la seconde tribu de l’album de Tintin! Baya et Biba vécurent fidèlement plusieurs années à nos côtés.

 

Cette année là, mon frère venait régulièrement de Paris, pour m’aider dans la tache ingrate et douloureuse consistant à désosser pièce par pièce la maison où nous avions grandi. C’est lors d’une de ces journée entrecoupée d’aller-retour vers la décharge municipale, que nous avons trouvé Rouky, le fils putatif d’Arumbaya, sur la terrasse, faible et saignant abondamment d’une blessure à la patte. Sans trop tergiverser, nous l’avons emmenés chez un vétérinaire de garde, pensant que sa blessure à la patte était plus importante qu’il n’y paraissait et que la perte de sang justifiait sa faiblesse. Le diagnostic de la vétérinaire de Villeneuve-lez-Avignon, fut rapide et bien différent : empoisonnement à la mort au rats. La mort au rats, superbe invention de nos frères humains, consistant à créer un poison destiné à tuer le plus lentement possible, de façon à ce que les rats, animaux forts intelligents, ne puissent pas faire le lien entre la nourriture et la mort de leurs congénères. Le mode d’action est simple, cette abomination empêche toute coagulation et entraine la mort par hémorragies internes ou externe. C’est ainsi qu’une blessure insignifiante à une patte avait entrainé de tels saignements. Si l’empoisonnement est pris à temps, l’antidote de la morts aux rats est bien connu, c’est la vitamine K. Une bonne dose en injection au cabinet du véto, et des cachets à donner durant plusieurs jours pour contrer les effets du poison. Bien évidemment, pour pouvoir le soigner, il n’est pas question de laisser le matou à Avignon et me voici ramenant chez moi un cadeau imprévu. Rouky sera vite sur pattes et restera à demeure dans son nouveau foyer, pour notre plus grand plaisir, tant ce fut un chat affectueux. L’ironie de la situation, c’est que c’est grâce à son empoisonneur qu’il doit ses belles années, où il fut logé, nourri et cajolé dans un foyer sûr.

 

Mais âgé d’une dizaine d’année, Rouky souffre de FIV, le Sida des chats, et développe des abcès et surtout des infections pulmonaires que les antibiotiques ne parviennent plus à juguler. Lorsqu’au dernier jour, je le vois épuisé,  quitter la maison en sortant par la chatière, j’ai l’intuition que je ne le reverrai plus. Il part, comme le font souvent les chats vers leur «cimetière des éléphants». Je n’ai jamais bien compris ce qui les poussait parfois à quitter ainsi leur maison pour se cacher, suffisamment loin, suffisamment bien, pour mourir en paix et n’être pas retrouvés…

 

Le destin de Rouky, sauvé du naufrage de la maison d’Avignon, par un étrange concours de circonstances, n’est pas forcément le plus étrange de tous. Il y’a aussi le cas d’Isis.

 

Revenons quelques semaines en arrière avant les mésaventures de Rouky et de la mort aux rats. Alors que je remplis une gamelle de croquettes à l’arrière de la maison d’Avignon, à l’intention des chats encore sur place, mon attention est attiré par un tout jeune chaton à peine sevré. La robe tricolore et les lois de la génétique ne laissent aucun doute, il s’agit d’une petite femelle. J’essaie de l’approcher, elle se sauve immédiatement à travers l’épaisse haie de Pittosporum, dans le jardin du voisin. Je patiente, elle revient, mange si je suis suffisamment loin de la nourriture et se sauve à nouveau à chaque tentative d’approche. Le manège dure et se reproduit à chacune de mes visites, à tel point que je finis par renoncer.

 

Les jours et les semaines passent, Chounette et Silky, les minettes du « premier cercle » ont déjà été rapatriées sur Orange, ainsi que Rouky le miraculé. La maison familiale est entièrement vidée, elle est vendue et voici venue le jour où avec un pincement au coeur je tourne pour la dernière fois la clef dans la serrure de la porte d’entrée et me retourne pour partir. C’est à cet instant, à cette ultime seconde, que je vois la petite chatte tricolore qui s’est assise juste devant mes pieds et me regarde. Jusqu’à présent elle n’était jamais venue, du moins en ma présence sur le devant de la maison, c’est uniquement dans la cour à l’arrière, que nous jouions ensemble à cet étrange partie de cache-cache. Je me penche, persuadé que comme à son habitude, elle va se sauver. Mais elle me regarde et ne bouge pas d’un millimètre. Je l’attrape, elle ne se débat pas le moins du monde, je la prends dans les bras, la dépose dans la voiture et la ramène à Orange.

 

Voici le mystère d’Isis, car tel sera désormais son nom en l’honneur de la déesse de l’Egypte antique: comment ce petit être inexpérimenté et peureux a pu comprendre que sa dernière chance d’être adoptée, plutôt que de vivre une vie de chat errant et pleine de danger, se jouait, non seulement sur cette dernière journée, mais sur cette toute dernière poignée de secondes.  Est-ce un simple hasard? Je ne parviens pas à y croire, tant le changement d'attitude a été soudain et opportun. Est-ce simplement de l’intelligence, du raisonnement, de la logique? Je n’y crois pas plus. Est-ce de la prescience? Mon cerveau cartésien a du mal à admettre cette possibilité, mais je n’en trouve aucune autre…

 

Toujours est-il qu’Isis rejoindra ce jour là la petite troupe des rescapés de l’Arche avignonnaise. Elle et Rouky seront, du moins tant que vivra ce dernier, les meilleurs amis du monde. Le destin de ces deux là, promis à l’abandon par la force des choses, s’est joué sur le fil du rasoir.

 

A l’heure ou j’écris ces lignes, Isis, vieille mais fringante minette dans sa seizième année, est la dernière survivante de cette époque.

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N
Toujours cette narration impeccable, prenante.<br /> Je pense à mes chats. Ils me manquent.<br /> Je suis seule et le silence est assourdissant.<br /> Triste...
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A
Merci Nina, même si raviver ta tristesse n'était pas l'objectif... Pourquoi ne pas reprendre un gentil chat avec toi? Je suppose que tu as dû l'envisager... Amicalement Christian