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Mes histoires de chats : Diana

31 Août 2017 , Rédigé par Aralf Publié dans #Mes histoires de chats

Mes histoires de chats

L'Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
S'ils pouvaient au servage incliner leur fierté.
Charles Baudelaire

Diana, celle par qui tout à commencé; celle qui m’a appris le respect des chats et donné ma toute première leçon de stratégie échiquéenne…

 

Mes histoires de chats : DianaMes histoires de chats : Diana

1972 à une ou deux années près, j’ai environ huit ans. Je passe l’été à la maison; cette grande maison familiale construite en 1969 pour abriter mes parents, leurs deux fils, et nos trois grands mères - plus précisément nos deux grands mères aux prénoms délicieusement surannés : Andrée, Francine et la soeur de cette dernière, notre grand-tante Rose, dont le prénom n’a en la matière rien à envier aux deux autres! 

Philippe, mon frère, est allé passé quelques jours chez nos cousins viticulteurs à Gaillac. Mais il  ne revient pas seul! Dans ses bagages, une petite boule de poil blanc, une jeune chatte, née une paire de mois avant, sans doute dans la paille d’une grange… Le petit animal, reçoit un premier accueil, avouons le, plutôt frais dans cette maison jusqu’à présent exempte d’animaux à quatre pattes. Nos parents, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, adoptent le petit animal et c’est là que tout commence! 

La minette, née à la campagne et sans doute élevée à la dure au milieu des souris et des mulots, montre très vite ses talents de chasseresse. Il n’en faut guère plus pour que nous décidions avec Francine, (ma grand mère maternelle que nous appelons Mamie pour la différencier d’Andrée qui est Mémé!) de faire passer le jeune animal du statut infamant de « minette » à celui de chat baptisé possédant un véritable nom! Ce sera donc Diana en référence quelque peu torturée à Diane la déesse de la chasse! 

Diana ne se contente pas d’emprunter à Diane ses attributs de chasseresse, comme tous les dieux antiques, elle développe rapidement un caractère ombrageux, activement soutenu par la vivacité de ses pattes avant. C’est qu’il ne s’agit pas ici de la quinzième génération ramollie de chat de ville habitué aux coussins de soie; c’est du presque sauvage, ça! Elle est ombrageuse mais sélective. Dans  la grande maison, deux personnes seulement peuvent l’approcher, avec prudence certes, mais sans trop de risques. Moi même et Mamie; peut-être finalement nous est-elle reconnaissante de lui avoir offert un nom à la hauteur de son talent.

Un premier printemps passe, le ventre de Diana grossit et mes parents, à l’époque plus au fait que moi du « comment on fait les bébés », se rendent vite compte que l’opération envisagée, viendra trop tard. L’invasion féline qui me poursuivra toute ma vie a commencé! 

Trois bébés chats naitront pour notre plus grand bonheur. Le premier est un petit rouquin sans nom qui étant le plus joli sera bientôt donné en échange de bons soins. Le second est un tigré dans la plus pure tradition du chat de gouttière, que nous appellerons Sylvestre en hommage au gros minet de « Titi et Gros Minet », ce qui est totalement stupide puisque le Gros Minet en question est noir et blanc… Le troisième est un petit noir et blanc tout moche que nous aurions du appeler Sylvestre au regard de sa couleur (vous avez suivi?) mais que je baptiserai personnellement du nom bizarre et mystérieux de Ti-Puch; mystère qui sera levé dans un autre épisode de cette saga féline…

Et si nous en venions enfin à cette fameuse première leçon de stratégie échiquéenne qui en aura sans doute interpellé certains  au tout début de cette histoire?

Il me faudrait ici pour vous décrire au mieux la scène suivante vous faire un dessin comme le faisait Saint Exupéry avec ses boas et ses éléphants, mais je crains que mes piètres talents de dessinateurs n’embrouillent encore plus la situation! 

Essayez donc d’imaginer une maison entourée d’un jardin, clos d’une murette, d’un grillage et d’une haie bien touffue. Pour les besoins de la démonstration et pour ne pas compliquer plus la description, nous n’aurons besoin que de deux faces de ce terrain! La face avant, ou en plus d’un  portillon se trouve, détail bizarrement important pour la suite, le compteur électrique. Celui est posé sur la murette et pour cela le grillage a été découpé tout autour. Cet espace entre le grillage et le compteur est parfait pour les chats du quartier qui en ont fait leur entrée principale pour venir chez nous! Et, deuxième face, sur le côté de la maison se trouve un grand portail en fer forgé permettant de rentrer la voiture dans le jardin et accessoirement dans le garage. 

Ce jour là mes parents ont ouvert le portail pour sortir la Peugeot 204 familiale (ou la rentrer j’avoue ne pas me souvenir de ce détail sans aucune importance pour ce qui nous intéresse!). Un de nos voisins passe dans la rue accompagné comme à son habitude de ses deux chiens : un magnifique berger allemand et un basset (pas une de ces saucisses tellement basse sur patte que les oreilles frottent le sol, mais un splendide basset artésien, chien de chasse puissant et athlétique s’il en est). Les chiens, calmes et bien dressés ne sont pas tenus en laisse et suivent leur maitre qui est entré dans le jardin pour saluer mes parents et entamer une conversation de bon voisinage. 

Derrière nous, dans l’herbe, trois petits chats jouent tranquillement (bien qu’en réalité, pour des chatons « jouer tranquillement » signifie « se bagarrer furieusement »)
 
Un éclair blanc nous passe dans les jambes. C’est Diana la tigresse qui bondit toutes griffes en avant sur les deux chiens! Le terme bondir n’est pas excessif puisqu’elle saute littéralement sur la gueule du berger allemand, prend appuie de ses pattes arrières sur son museau et se propulse dans la rue. Tant d’années après je revoie encore au ralenti cette scène, comme si j’y étais. Passé une seconde de désorientation, les deux chiens réagissent et se lancent en pleine rue à la poursuite de la chatte, malgré les cris de rappel de leur maître. Sur une courte distance les chats courent sans doute au moins aussi vite que les chiens, Diana bénéficiant de son élan et de  l’effet de surprise a quelques mètres d’avance et surtout elle n’a pas fui au hasard! Elle longe la clôture, tourne au coin de la rue et revient dans le jardin par le petit trou. Vous vous souvenez celui à côté du compteur électrique!  Pendant que les chiens vitupèrent inutilement le nez dans les lauriers-amandes, Diana rejoint ses trois petits diables, les attrape par la peau du cou et va les mettre à l’abri un par un. 

Ayant assisté à la scène, je n’ai jamais crû un seul instant que Diana avait agi au hasard. Elle a vu un danger dans le surgissement de l’ennemi héréditaire, mais elle n’était pas capable de défendre efficacement ses chatons. Elle a donc conçu un plan stratégique en prévoyant au mieux la réaction de ses adversaires et l’a appliqué: détourner l’attention, les entrainer au loin, s’échapper par un passage où il ne pourraient la suivre et profiter du répit pour abriter sa portée. 

J’ai compris ce jour là que l’intelligence des chats ne se limitait pas à leur extraordinaire capacité à trouver leur gamelle!

Nous voici quelques années plus tard. Diana, dans la force de l’âge est une belle chatte en pleine santé qui n’a jamais renoncé ni à sa passion de la chasse dans les jardins et terrains vagues alentours, ni à son droit à décider quand, comment et par qui elle acceptait de se faire caresser! 

Et puis voici qu’un beau jour Diana revient à la maison en boitant et l’une de ses pattes avant enfle très rapidement, jusqu’à ressembler à une patte d’éléphant. Nous voici partis, moi et ma mère, chez le vétérinaire. Le praticien habituel est absent et nous sommes accueillis par un tout jeune remplaçant. Nous comprendrons bien vite qu’il s’agit très certainement d’une de ses premières interventions. Diana est bien vite endormie et emmenée en salle d’opération. De là où nous sommes, au bout de quelques minutes, nous percevons les bribes d’un dialogue inquiétant entre le jeune vétérinaire et l’assistante: « j’ai pas de chance, c’est tout de même pas de ma faute; etc ». A son retour le jeune homme nous explique gêné que Diana a certainement été mordue par un rat, qu’il a nettoyé au mieux la plaie, mais l’abcès étant très étendu il doute que la patte puisse être sauvée; l’amputation sera probablement la seule option envisageable. Pour essayer d’éviter d’en arriver là, nous devons prendre soin de Diana très attentivement. Il a placé un drain dans l’abcès qui dépasse de la patte sous la forme d’un petit tuyau de plastique, afin d’évacuer le pus, le temps que le traitement antibiotique fasse effet. Le problème c’est que ce tuyau très fin va se boucher. Qu’à cela ne tienne, voici une petite seringue, vous l’introduisez dans le drain et injectez un peu d’eau tiède préalablement stérilisée pour le déboucher. Bien sur, bien sur… Vous connaissez Diana? Pour l’instant elle dort chez sa copine Morphée, mais à son réveil, lorsqu’il s’agira de tripoter sa patte malade, elle nous rappellera bien vite qu’elle en a trois autres en parfait état et des dents bien pointues. Nous envisageons l’achat d’une armure… 

Quand il faut y aller, faut y aller; Diana est couchée dans la salle de bains, sur son fauteuil en rotin préféré, je m’approche avec ma seringue. Mamie et maman se tiennent  préventivement derrière moi avec la bouteille d’alcool à 90°, les compresses et les pansements pour mes mains! Diana me regarde, je lui prend la patte, j’introduis maladroitement la seringue, je dois lui faire mal elle a le réflexe d’essayer de retirer sa patte, je débouche le drain. En dehors de ces quelques mouvements réflexes elle n’a pas bougé. Le pus coule du drain, elle prend ses médicaments, reste couchée, la patte désenfle, le vétérinaire chez qui nous retournons crie au miracle, la patte est sauvée et le drain retiré. Le traitement n’est pas terminé. A la place du drain, il y’a maintenant  un trou dans la peau. Pour finir d’assécher l’abcès, nous devons introduire par ce trou à l’intérieur de la patte, des petits bâtonnets, un peu comme des allumettes en pâte à modeler. Diana qui quelques semaines auparavant  m’aurait arraché la main pour bien moins que ça, ne protestera jamais devant cet exercice périlleux… 

Là aussi je n’ose croire que Diana n’avait pas compris que je prenais soin d’elle et qu’elle ne m’en témoignait pas une reconnaissance raisonnablement intéressée. Certains bien sur diront de mon analyse qu’elle n’est qu’anthropocentrisme forcené. Et pourtant… 

Je vous rassure elle retrouvera rapidement sa vision très personnelle des relations entre félins et humains et de la distance à conserver entre les deux; seule la vieillesse viendra quelques années plus tard adoucir enfin son caractère.

Les grands-mères ont toutes quitté ce monde, moi et mon frère avons quitté la maison familiale, mes parents prennent soin de la minette avec toute l’affection et l’attention que l’on peut témoigner à une vieille personne; bien plus sans doute que ce qui se rencontre aujourd’hui dans certaines de nos propres maisons de retraite. Son fauteuil en rotin a été monté à l’étage, elle est trop vieille pour chasser, elle vit dans une véranda d’où elle peut contempler le jardin juste au dessus de ce portail où elle avait un jour attaqué un berger allemand. Diana s’en souvient-elle dans sa vingt-et-unième année, au moment de rejoindre enfin le paradis des chats, là haut quelque part sur le mont Olympe? 
 

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C
Bel hommage d'un poète à une chatte qui est elle-même poésie.
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